Thursday 30 November 2006

Le Rwanda et la France

Lettre de lecteur envoyée au journal Le Monde
Votre article: France-Rwanda: l'ombre du génocide continue à peser*

(22 novembre 2006)

Vous citez le travail "remarquable" de la mission parlementaire française d'information présidée par Paul Quilès. La commission avait une mission d'information, et non d'enquête: contrairement aux missions parlementaires américaines, elle n'avait aucun pouvoir de comparution de témoins ni de témoignages sous serment avec sanctions judiciaires. La commission était sous l'influence des autorités gouvernementales et a travaillé en partie à huis-clos. Son rapport a blanchi la France.
Par contre, le rapport de l'Organisation pour l'unité africaine (OAU, remplacée depuis par l'Union africaine) de juillet 2000 a conclu que la France a été l'allié le plus proche du gouvernement rwandais qui a été coupable d'abus massifs des droits de l'homme et n'a pas cherché à influencer ce gouvernement pour qu'il cesse son action. Pour la commission de l'OAU, la position du gouvernement français selon laquelle il n'avait aucune responsabilité pour le génocide du Rwanda était "entièrement inacceptable". Un de ses membres, le Canadien Stephen Lewis, a déclaré qu'il n'y avait presque aucune excuse pour la conduite de la France au Rwanda. La France aurait dû présenter ses excuses, ce qu'elle a toujours refusé de faire, contrairement à l'ONU, la Belgique, l'Afrique du Sud et l'Eglise anglicane.
(Malgré les preuves irréfutables du soutien politique et militaire de la France au gouvernement Hutu génocidaire avant et pendant le génocide, des hommes politiques influents (Roland Dumas, Alain Juppé) ont exprimé leur "fierté légitime" pour l'action de la France au Rwanda).
Seul Michel Rocard a estimé que la France avait commis "une faute géopolitique", et avait choisi "le mauvais côté".

Yves Beigbeder

J'ajoute à cette lettre publiée, par Le Monde des 3-4 décembre 2006, avec une coupure marquée par des parenthèses sur le texte ci-dessus.
Le 22 novembre 2006, Le Monde annonçait que le juge français Bruguière, le magistrat de la lutte anti-terroriste, sortant de son rôle, avait signé une ordonnance pour communiquer les conclusions de son enquête sur l'assassinat, le 6 avril 1994, du président rwandais Juvénal Habyarimana, évènement déclencheur du génocide. Bruguière mettait en cause le président Paul Kagame et neuf personnalités rwandaise dans l'attentat contre l'avion. Bruguière jugeait que Kagame avait prévu et instrumentalisé les massacres déclenchés ensuite par le pouvoir Hutu: " les représailles sanglantes envers la communauté tutsie lui offriraient le motif légitime pour reprendre les hostilités et s'emparer du pouvoir avec le soutien de la communauté internationale". Kagame bénéficiant de l'immunité accordée aux chefs d'Etat, Bruguière a même demandé au Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, de saisir le Tribunal pénal international pour le Rwanda pour engager une poursuite contre Kagame: Annan n'a aucune compétence en la matière, et le TPI est indépendant.
A première vue, ces annonces donnaient l'impression que le gouvernement français cherchait à nouveau à se dédouaner de toute responsabilité à l'égard du génocide au Rwanda, par une manoeuvre particuliérement maladroite évoquant Gribouille.
En somme, il fallait oublier le génocide d'environ 800 000 tutsis commis par le gouvernement Hutu et ses milices, et blâmer les Tutsis d'avoir eux-même provoqué les massacres !
Il fallait également oublier le rôle de la France qui a entraîné et armé l'armée du gouvernement Hutu, qui a aidé cette armée à repousser une première offensive des troupes Tutsi en 1990, a permis à l'Opération Turquoise de laisser fuir les dirigeants et troupes génocidaires Hutu vers le Congo. Par une étrange aberration soutenue par les autres dirigeants français, le Président voulait joindre un Rwanda francophone (ex-colonie belge) à notre "empire" post-colonial au nom de la Francophonie: l'ennemi était Kagame l'anglophone.
Le 28 novembre 2006, Le Monde découvrait "les erreurs et les étranges témoins du juge Brugière ...

Friday 17 November 2006

La victoire de Ségolène

Elle a gagné ! Elle a défait deux éléphants, malgré les chausse-trappes et les coups bas. Popularité médiatique, des coups de canif contre l'idéologie du Parti, des propos inattendus, une femme, enfin, qui prétend à la magistrature suprême, une femme à convictions, dure et sûre d'elle-même. Enfin une petite éclaircie dans le climat morose de la politique intérieure française.
Pour moi, DSK était le candidat le plus compétent, et, enfin, essayait de transformer le vieux Parti sclérosé en parti social-démocrate, c'est-à-dire un parti de réforme progressive, comme la plupart des partis socialistes européens, et même les anciens partis communistes en dehors de la France. Ségolène le suivra peut-être sur cette voie, quand elle aura sa pleine liberté d'expression. DSK, premier ministre de Ségolène, pourquoi pas ?
La défaite de Fabius est la bienvenue, les socialistes eux-mêmes n'ont pas accepté sa conversion tardive et démagogique de dirigeant bourgeois libéral en gauchiste révolutionnaire. Sa dissidence du Parti socialiste pour casser l'Europe m'a particulièrement choqué. La France et l'Europe mettront des mois et peut-être des années à se remettre du "non" français, dont il est en partie responsable. Après la nouvelle de la victoire de Ségolène hier soir, Paul Quilès, un de ses partisans, a essayé de remettre en marche la "machine à perdre": accepter sa victoire peut-être, mais la surveiller de près pour qu'elle garde la route bien à gauche. Fabius et Quilès ne savent donc pas que les élections se gagnent au centre, et qu'il n'y a pas de majorité de gauche en France, sauf exception. Aux Etats-Unis, les democrates ont gagné en se rapprochant du centre, et en limitant les positions excessives.
Je ne suis pas totalement convaincu par Ségolène et j'attends des propositions plus claires. Re-nationaliser industries et banques serait catastrophique, élargir les 35 heures, qui ont déjà affaibli l'économie française, également. Je n'ai pas aimé son soutien à José Bové, qui massacre illégalement des moissons en ignorant royalement les connaissances scientifiques et l'expérience de nombreuses populations qui bénéficient des plantations OGM.
J'espère qu'elle pourra trouver de nouvelles idées pour relancer l'Europe, en accord avec d'autre Etats membres.
Certaines idées de Sarkosy me plaisent, en particulier la discrimination positive (ou action positive) en faveur des minorités dites visibles, donc d'origine africaine, maghrébine ou asiatiques, pour les aider à trouver du travail et un logement: une action temporaire et énergique, et également visible, est cruciale pour éteindre les incendies des banlieues, et que tous prennent leur place dans la nation. Par contre, je n'aime pas son patriotisme économique ni ses attaques contre les juges: respect pour la séparation des pouvoirs (inexistante en France).
J'aime bien Bayrou, un modéré centriste, et un Béarnais (comme ma famille), aux propos intelligents, mais dont les chances dans la bataille sont malheureusement modestes.
Voilà, pour l'instant !
Yves Beigbeder 17 nov. 06

Monday 13 November 2006

Judging War Crimes and Torture

Even democracies commit war crimes. France, like other democracies, has not always kept up to the high standards expected from the „homeland of human rights”. Its colonial past shows that what it termed its “civilizing mission” was tainted with military, economic and religious abuses, denounced by a few courageous groups and individuals, and revealed in a few public trials. The Vichy government’s willing participation in Jewish persecution during the German occupation of France was ignored or denied until trials (Barbie, Touvier, Papon) brought to light these unpleasant facts in the 1990s. France’s participation in the Nuremberg and Tokyo Tribunals was relatively minor but useful. However, its participation in later international tribunals (Ex-Yugoslavia, Rwanda) revealed a few conflicts between French politics and the work of these tribunals. France’s participation in the International Criminal Court is also reviewed. These developments show that even democratic countries, like France but not France alone, can commit war crimes, crimes against humanity and even be accomplices in genocides. Reasons include pressures in exceptional periods of internal and/or external political/military tensions, nationalist policies, lack of judiciary independence, and lack of media exposure to abuses. However, past crimes must be recalled and exposed, particularly if they have been hidden, covered by amnesties, and not judicially punished. They must be visible as part of a country’s history in order to ensure that they are not repeated. Even democracies commit war crimes. France, like other democracies, has not always kept up to the high standards expected from the „homeland of human rights”. Its colonial past shows that what it termed its “civilizing mission” was tainted with military, economic and religious abuses, denounced by a few courageous groups and individuals, and revealed in a few public trials. The Vichy government’s willing participation in Jewish persecution during the German occupation of France was ignored or denied until trials (Barbie, Touvier, Papon) brought to light these unpleasant facts in the 1990s. France’s participation in the Nuremberg and Tokyo Tribunals was relatively minor but useful. However, its participation in later international tribunals (Ex-Yugoslavia, Rwanda) revealed a few conflicts between French politics and the work of these tribunals. France’s participation in the International Criminal Court is also reviewed. These developments show that even democratic countries, like France but not France alone, can commit war crimes, crimes against humanity and even be accomplices in genocides. Reasons include pressures in exceptional periods of internal and/or external political/military tensions, nationalist policies, lack of judiciary independence, and lack of media exposure to abuses. However, past crimes must be recalled and exposed, particularly if they have been hidden, covered by amnesties, and not judicially punished. They must be visible as part of a country’s history in order to ensure that they are not repeated.

Yves Beigbeder (Doct. Public Law) has written a number of books and articles on international organizations and international criminal justice. As a young graduate, he worked as Legal Secretary to the French judge at the Nuremberg Trial (March-August 1946). Following his long service with the World Health Organization, he gave courses or lectures in European and North-American universities. He is now a legal counsel for international civil servants in Geneva.

Docteur en Droit public, ancien fonctionnaire de l'OMS, il a par la suite publié de nombreux articles et livres sur les organisations et administrations internationales. Il a enseigné à l'Institut universitaire de hautes études internationales (IUHEI), à Genève, et dans des universités françaises américaines et canadiennes. Il fut également Chargé de recherches à l’Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche (UNITAR).